Quel est votre premier rapport à l’ar
Tout a commencé quand mon père me donna un appareil photo. J’avais 16 ans. A cette époque j’étais un ado normal, je ne savais pas quoi faire dans la vie. Tout à coup j’ai eu un sujet sur lequel me focaliser. Je ne pouvais pas m’arrêter de prendre des photos de tout ce qui m’entourait. Je prenais des photos et je les développais moi-même, c’était une vraie passion, ma première passion. Et tout à coup j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.
Votre travail change d’une exposition à une autre, vous utilisez des medium différents, de la photographie au film, de la sculpture aux installations, et le dessin évidemment. Comment cela est-il arrivé?
En utilisant la photographie pour parler de ce monde c’est comme avoir seulement un point de vue, c’est comme avoir une pièce avec une seule fenêtre. Mais le monde est tellement plus coloré, alors j’ai essayé d’ouvrir plus de fenêtres et j’ai essayé de parler de certains sujets de façon différente. Après 9 ans de photographie je suis probablement devenu plus curieux de découvrir de nouvelles choses. La photographie est toujours un incroyable moyen de raconter des histoires, c’est toujours une grosse partie de mon travail. J’aime travailler avec les images en 2 dimensions, et il en sera toujours ainsi.
La créativité et le plaisir vont de paire pour vous. C’est une approche enjouée. Est-ce aussi un acte de résistance?
Je sais que beaucoup de mes amis artistes ne peuvent travailler que quand ils sont déprimés. Je suis complètement à l’opposé de ça, je ne peux donner le meilleur de moi-même que quand je suis de bonne humeur. Je travaille beaucoup le matin au réveil, c’est un moment où j’ai les idées fraiches et de l’inspiration. Toutes mes motivations dans la vie viennent d’évènements très positifs, je ne m’attarde pas sur les pensées négatives. Cela dit il y a des artistes ou des réalisateurs, Woody Allen par exemple, qui peuvent raconter des histoires graves avec beaucoup de sérieux, mais d’une façon très drôle. Mon travail peut aussi être très sarcastique, même négatif par rapport à la vie, mais je garde un esprit positif pour raconter les choses. Sinon je pourrai juste prendre un revolver et me tirer une balle. La vie est une chose désespérante, donc c’est vraiment une question de point de vue.
La force explosive de l’absurde, de l’humour, de l’excentricité, un peu de provocation, des moyens modestes… Je ne peux m’empêcher de penser à la relation au dadaïsme. Tristan Tsara et Hugo Ball qui ont fondé le cabaret Voltaire à Zurich en 1916…
Quand j’étais jeune, j’étais très fan de Dada, j’ai lu des livres et tout ce que je pouvais trouver sur le dadaïsme. L’un des facteur d’être un artiste est de surprendre les gens, de raconter des histoires que personne n’a racontées avant, et c’est ce que Dada a fait. C’était une autre époque, et ce qu’ils ont fait a parfois aussi offensé certaines personnes, sur scène, ils se sont fait jeter des tomates dessus.
La plus grande différence aujourd’hui c’est qu’il est difficile de surprendre les gens, tout a été fait, visuellement. Ces 10 dernières années, la mode, la musique ou l’art n’ont fait que de recycler. C’est très rare aujourd’hui que quelqu’un vienne avec une idée qui nous surprenne vraiment. C’est comme le film Avatar de James Cameron, de nouvelles technologies mais rien de nouveau fondamentalement. Visuellement, en photographie c’est pareil. Que pouvons-nous faire de cette petite boîte qui n’a pas déjà été fait il y a 100 ans ?
Mais vous savez, ça m’est égal, parce que je pense réellement que les artistes doivent se concentrer sur les histoires et comment ils veulent les raconter. C’est ce qui est vraiment important pour moi. Ce qu’il me reste de ce que j’ai appris du dadaïsme, ce sont les choses étranges et inattendues que je peux utiliser pour raconter des histoires.
Vous dites : « Quelque chose m’ennuie et je passe à autre chose. » Est-ce que l’ennui est une énergie ?
Non l’ennui c’est de l’ennui, ce n’est pas de l’énergie. L’ennui c’est terrible, je n’aime pas l’ennui.
Quelle est la signification des couleurs ?
J’ai fait une exposition à Los Angeles où je n’ai utilisé que du jaune, du vert du bleu et du rouge. C’était un plaisir de jouer avec ces couleurs. Je ne suis pas le premier à utiliser le « color dripping » ou à utiliser des sprays, mais je voulais juste jouer avec quelques idées du passé en essayant de les utiliser différemment. J’ai toujours été intéressé par les couleurs, comme vous pouvez le voir dans mon travail photographique « Colors ». C’est un jeu, les couleurs sont un plaisir.
La façon dont vous transformer une chose en une autre peut être assez drôle. « L’humour ouvre toutes les portes » Est-ce que c’est toujours le cas ?
Oui c’est toujours le cas, l’humour est un très bel outil avec lequel communiquer. C’est comme d’une personne à une autre, quand vous rencontrez quelqu’un et que cette personne sourit, il est plus facile de connecter. Ça à l’air un peu bête de dire des choses pareil, mais la vie peut être une vrai salope, il y a une qualité désespérante à la vie, et l’humour est une façon de la traverser. C’est certainement une meilleure façon de la traverser que de le faire de façon amère par exemple.
Le dessin permet une approche directe simple et brève. Mais à y voir de plus près, certains détails apparaissent plus complexes ou mélancoliques, laissant de la place à la fragilité. Est-ce que cette notion de fragilité vous parle dans votre travail ?
J’aime la fragilité de mes dessins, parce que tout ce dont vous avez besoin c’est d’un papier et d’un crayon. Avec un simple dessin vous pouvez parler de choses importantes. Mais les meilleurs mots pour décrire la fragilité de mes dessins seraient innocent, mignon ou naïf. Facile à comprendre à premier abord, mais s’occuper de vrais problèmes, la vie, le monde réel… Comme à Lascaux, où les dessins dans les grottes étaient simples mais exhaustifs.
On dirait que vous arriver à tout prendre en considération. Comment les idées vous viennent-elles ?
Elles viennent de la vie. En tant qu’artiste, j’essaie de mener une vie moyenne, comme tout le monde, et j’en parle. Je ne suis pas un artiste qui se concentre sur le monde de l’art ou qui parle d’histoire de l’art en répétant ce qui a été fait. Il y a beaucoup de critiques qui, quand ils parlent de mon travail, disent simplement : « Oh il parle de pop culture… » Mais vous savez, la pop culture n’existe pas, c’est ce putain de monde, c’est ce que nous avons autour de nous dont je parle. Je veux parler de choses fondamentales dans la vie, des choses qui intéresserait ma grand-mère si elle était vivante.
Etes-vous d’accord avec l’idée que votre art est un merveilleux « acte de piratage »
Hmm, piratage… Je fais ce que tout le monde fait maintenant : Je puise dans la diversité du monde, et j’utilise ce qu’il y a autour de moi. Internet par exemple. Si je vois quelque chose qui attire mon attention, je le prends dans mon travail, je l’incorpore dans mon monde. C’est comme ça que je fais depuis que j’ai commencé. Mon travail peut être très différent d’une pièce à une autre, c’est comme une grande collection de choses qui m’intéressent. Parfois la même chose revient mais j’essaie toujours d’atteindre un nouveau terrain, explorer une nouvelle facette du monde à travers mon art.
Pouvez-vous parler de l’aspect mythique souvent vu dans vos vidéos ?
Et bien ce que je peux dire…. Vous savez, quand je m’exprime dans mon travail, j’essaie toujours d’utiliser des archétypes comme l’image d’un roi, une épée, un homme des cavernes… Mais toujours dans l’idée de raconter une histoire. On doit admettre que mon « roi » par exemple, avec sa barbe et ses longs cheveux, ressemble plus à un homme des cavernes qu’à un vrai roi. C’est parce que nous vivons dans un monde où tout ce que nous voulons savoir, toutes les informations sont disponibles en quelques secondes. Tout peut devenir très confus, tout peut être confondu très facilement.
Je pense que ça doit être incroyable de faire partie de la génération qui grandit aujourd’hui. Il y a tellement d’informations, c’est hallucinant.
« Certaines choses font un déclic en moi et je les suis » Qu’est-ce la curiosité pour vous ?
La curiosité pour moi c’est probablement la même chose que pour vous. Quelque chose qui m’intéresse. C’est probablement dommage qu’en vieillissant on perde sa curiosité. Pas seulement parce que l’on devient paresseux, mais aussi à cause de la quantité d’expériences que vous avez accumulées. C’est ma préoccupation principale en tant qu’artiste, je dois être curieux. C’était plus facile il y a 10 ans, quand j’ai commencé parce que maintenant je vérifie beaucoup de choses. Parfois je me dis « oh j’ai déjà fait ci ou ça et ça » et je m’assied à ma table ennuyé et désespéré, cherchant de nouvelles choses qui pourraient m’intéresser. Les idées parfois viennent par pure coïncidence, juste une image sur internet et c’est la bonne qui te fait commencer. C’est comme une boule de neige. Tu peux lancer une boulle de neige et créer une avalanche. C’est la situation parfaite, mais d’abord, tu as besoin d’une boule de neige dans ta main.
La façons dont vous divertissez, revisitez, relisez, recyclez et rejouez les choses, comme un jeu, une « guerilla », font penser à certains ingrédients de « l’arte povera »
Vous savez j’ai appris l’arte povera quand j’étais à l’école, il y a longtemps, je ne me rappelle pas vraiment ce que c’était… Donc je ne pense pas
Qu’est-ce l’art pour vous ? Est-ce comme disait un fameux styliste, une façon de répondre ?
Je ne vois pas d’autres professions où je serai libre de raconter des histoires. Pour moi, l’art c’est ça, c’est la liberté.
Même si le monde de l’art c’est juste du business, même si l’argent, le pouvoir et le succès dirigent ce monde, c’est dans ce milieu que je trouve le plus de liberté pour faire ce que je veux. C’est un super job, tu as la liberté de franchir toutes les frontières et dire ce que tu veux. Des frontières que tu ne peux pas franchir si tu es un photographe commercial ou même un réalisateur.
Pour moi, faire de l’art c’est un peu comme écrire un journal, je le fait pour parcourir ma vie d’abord, et il semblerait que d’autres personnes y soient aussi intéressées, c’est donc juste parfait. Mais si tu me disais que tu n’es pas intéressé par ce que je fais, cela me serait probablement égal, je ne me sentirai pas concerné.
Mon intérêt principal est de produire de l’art, le reste, comme le montrer ou le promouvoir, mais si je l’aime, ne m’est pas d’une grande importance. Il n’y a pas de comparaison avec le « faire » le processus de créer de l’art. Le résultat, et bien le résultat c’est juste le résultat. Et si l’unique motivation de faire de l’art était juste de se divertir ?
Parmi tous les mediums que vous utilisez, la vidéo semble ressortir plus que les autres. Il y a une forme d’étrangeté, une menace. (Home 1, 2004; King, 2000). Pensez-vous que le son en est la raison? Est-ce que cela ajoute quelque chose, comme une nouvelle dimension à votre travail?
Vous avez raison. C’est comme la première fois que j’ai vu un film de John Carpenter, ça avait l’air d’une production d’Hollywood, mais la musique était complètement différente d’un film classique de Hollywood. John Carpenter est connu pour composer sa propre bande son. Cela donne une couleur unique aux images. Le son est la première émotion lorsque tu vois un film.
Je fais la même chose avec mes films, j’ai un petit clavier et je compose ma musique. L’étrangeté que cela ajoute, vient du fait que je ne suis pas un professionnel du son. C’est probablement mon avantage, vu que mon but est d’amener une nouvelle dimension au visuel.
Votre travail semble consciemment dénigrer l’esthétique ultra sophistiquée de certains artistes et expositions. Dans un sens votre approche est proche d’un artisan, elle a une relation unique à notre période de changement économique. Est-ce que vous travaillez sur un nouveau projet maintenant ?
Je travaille sur un nouveau film. C’est la période la plus inconfortable, quand tu dois penser aux choses que tu veux faire. Parfois tu t’assieds et tu as un idée tout de suite, ça déclenche quelque chose, et ça éclate juste devant tes yeux. Mais parfois tu restes assis pendant un mois, juste à attendre que quelque chose se passe. Je veux prendre le temps, assez de temps, cette année, pour travailler sur mon nouveau film. J’ai déjà une idée pour ce nouveau projet. Je vais travailler avec le même acteur avec lequel je travaille régulièrement, et je vais filmer à New York. Ce sera une histoire qui posera des questions essentielles, des questions qui traitent sur des sujets profonds qui nous confrontent, les affaires déroutantes et complexes qui échappent à de simples questions. Je suis sûr que je vais trouver le moyen de parler de ça.
2009, COLOR STUDIES, C-PRINT, 60 X 80 CM, BLACK FRAME, EDITION 3


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interview done by Thierry Kupferschmid fo the magazine NEXT edited by NEAR in 2010
www.near.li/html/images/next/next18_march10.pdf