Au 40 Bond street à Manhattan c’est le dos de petits pavés aux formes arrondies et imparfaites qui salue la semelle de vos chaussures. Fait rare actuellement dans les rues de New York dont le macadam le plus souvent troué, perforé par le temps qui passe, reste de mise, procurant de grandes “joies” à l’automobiliste non averti. De multiples raisons peuvent faire que vous fouliez le pavé sur Bond street mais si vous possédez quelques fibres d’intérêt pour l’architecture alors la raison en est cristalline. Au numéro 40 de la rue se trouve le premier projet résidentiel sur sol américain des architectes Herzog et de Meuron.

Un bâtiment de 11 étages, deux grandes boîtes à chaussures finement sculptées, tout en verre et en cuivre protégées au sol par un surprenant portail en aluminium moulé. La première chose qui saute aux yeux de l’étudiant en architecture venu à New York pour faire la fête et accessoirement photographier une centaine de bâtiments, c’est la très belle résonnance de verts différents que l’édifice projette devant lui, recouvert entièrement, à part le premier étage, de plaques de verre bombées et teintées, oscillant subtilement entre le vert d’eau, le vert de gris et parfois le vert de vessie, comme un gigantesque miroir de la lumière et du temps qui fait, caresse l’oïl dans le sens du poil de façon indéniable. Dans le tout venant des grandes façades vitrées qui ornent un maximum de nouveaux bâtiments à New York et qui en images de synthèse impressionnent beaucoup mais qui sitôt construites se voient affublées d’une myriade de rideaux et de tentures de toutes sortes afin que les locataires ( plus souvent, propriétaires) ne se sentent pas le moindre geste observé par n’importe quel péquin de la rue ou de la tour d’en face, transforme ces superbes façades lisses en gros patchwork bigarré plus proche du macramé que de l’architecture contemporaine, Herzog et de Meuron trouvent une belle réponse en proposant ce fin écran de couleurs changeantes, ce subtil miroir du temps qui passe.

La façade en verre bombé rappelle la tradition des “cast iron” buildings qui apparurent au milieu du XIX siècle, suite à la révolution industrielle et qui fleurirent à New York, des constructions en armature de fonte où les façades sont recouvertes d’éléments métalliques moulés, faisant valoir, à l’époque, les nouvelles méthodes de fabrication de l’acier. En plus du moulage, le verre possède quelques propriétés alchimiques obtenus en travaillant main dans la main avec Diamon-Fusion International, Inc. qui s’est occupé de finaliser le verre en y appliquant une couche soyeuse de nano particules, histoire de confondre un peu plus l’observateur.

Au sol, un impressionnant portail en aluminium moulé déroule ses formes curvilignes aux abords du trottoir et vient lécher les premières hauteurs du bâtiment. L’effet est un étonnant mélange de sensations, sachant que les architectes se sont inspirés des tags et graffitis, ces marques essentiellement urbaines, pour en étirer certaines lignes vers une abstraction à cheval entre Gaudi et ses formes fantastiques et la grille en fer moulé du Palais d’hiver de St-Petersbourg. Il est peu dire qu’il faut un peu de temps pour apprivoiser tout cela, pour que l’oeil et l’esprit se détendent et commencent à suivre librement le jeu de tous les éléments mis là en équation. Les premières rencontres avec l’animal se font plutôt sur un mode oscillatoire, l’appréhension succède au rejet, le refus outré fait place à l’étonnement pour ouvrir un petit espace de reconnaissance dans lequel peut s’y engouffrer, non sans certains efforts, une certaine admiration baroque.

Car, sans parler des commodités grand luxe que ces appartements, townhouse, duplex et triplex offrent sur un plateau d’argent à une branche de personnes hautement fortunées, très loin du commun des mortels, c’est peut être là que se situe un des intérêts majeur de cette réalisation. Les deux super stars de l’architecture fendent à nouveau l’image trop bien taillée du mythe suisse, sobriété, austérité, précision et épaules voûtées qui scotchent encore trop souvent le front des créatifs de ce pays et l’explose en boule à facettes en s’affirmant fier et osé, baroque et disco.

Ce que certains prennent comme de l’arrogance et de la démesure et qui ont de ce fait quitté les bancs de l’auditoire, où il n’y a pas si longtemps tout le monde venait les admirer, peut a contrario susciter un réel et jouissif sentiment de liberté,

la possibilité d’envisager la création suisse sans toujours l’associer à une forme de minimalisme bien protestant, en osant l’ouvrir sur son contraire affirmé, un maximalisme assumé, parfois orgueilleux, mais tellement rafraîchissant par les temps qui courent.

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